dimanche 7 juin 2009


Princesse de Clèves / Michel de Montaigne = même combat

(Cahiers de l'Entre deux Mers n° 89 mai-juin-juillet 2009)

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Grâce au Président le moins lettré que la France se soit donné depuis l’invention de la République, un chef d’œuvre quasi oublié de la littérature mondiale est devenu le « best seller » de l’année. La diatribe grossière et ridicule de Nicolas Sarkozy sur la Princesse de Clèves - http://www.rue89.com/mon-oeil/2008/07/25/nicolas-sarkozy-kaercherise-encore-la-princesse-de-cleves - a été vécue comme un viol virtuel par tous ceux qui ont le moindre attachement à ce qu’il est convenu d’appeler les « humanités », c'est-à-dire cet insaisissable patrimoine intellectuel porté par la littérature, l’histoire, les langues vivantes mortes ou moribondes, la géographie, la philosophie et toutes ces sciences humaines sans lesquelles les sciences « dures », isolées dans la sphère pure du concept, resteraient parfaitement inhumaines.
Le positionnement scandaleux du Président de la République à l’égard des sciences humaines fut cependant à mes yeux une chance, dans la mesure où il rendit évident un symptôme pressenti de longue date par ceux qui sont préoccupés par la lente dissolution des humanités dans l’animalité brutale de l’humanité.
La situation d’échec des humanités est en effet soudainement rendue évidente par le fait que le système éducatif a permis que le premier personnage d’une nation qui a porté durant le dernier siècle l’étendard d’une culture humaniste tendue désespérément vers un idéal débarrassé des idéologies tant religieuses que laïques, affiche de manière aussi catégorique sa vision manichéenne des sciences. Selon lui, et selon les tenants de la culture « beauf », il y aurait d’un côté des sciences utiles à la vie biologique et économique (la Vie quoi !), de l’autre, des divertissements destinés à la délectation des nantis. Cette vision, qui semble être également celle de son très « cultivé » ministre de l’Education Nationale, permet d’opérer une discrimination aisée et claire entre les disciplines méritant d’être enseignées et celles pouvant relever d’enseignements facultatifs. Le « contribuable » pourrait donc contribuer à l’enseignement des sciences dures, le reste pouvant au mieux relever du bénévolat culturel - http://benevolatculturel.blogspot.com/-.
Pour ceux qui pourraient taxer cette analyse d’outrée voire de mensongère, je renvoie à une déclaration de Nicolas Sarkozy dans le journal gratuit "20 minutes" du 16 avri 2008 :
« Si je veux faire littérature ancienne, je devrais financer mes études ? Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’Etat doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes. »
La littérature ancienne étant ici mentionnée comme synecdoque (mention d’un élément pour désigner un ensemble auquel il appartient, ici les humanités : monsieur Sarkozy fait de la synecdoque sans le savoir) l’analyse de cette déclaration formulée à l’intention de ceux à qui elle s’adresse (que nous désignerons du nom générique de « beaufs ») peut être schématisée ainsi
Humanités = plaisir = inutile =ne doit pas être financée par des fonds publics
Sciences dures=professionnalisantes=utiles= prises en considération par l’Etat

Allons un peu plus loin :
Apprentissage des langues anciennes ( prises comme synecdoque) autorisé uniquement pour former des professeurs de langues anciennes qui formeront eux même des professeurs de langues anciennes et le ministres de l’éducation nationale du premier gouvernement Sarkozy

Encore un peu plus loin, plus grave : cherchons l’intrus….
La vision manichéenne : bien sciences=dures / mal = humanités laisse dans le versus (signe / ) apparaître une faille : les sciences économiques.
Le problème majeur de M. Sarkozy, de la pensée unique et de la beaufitude réunie est cette assimilation des sciences économiques aux sciences exactes. Quelques mois à peine après l’énoncé de cette déclaration qui plaçait les sciences économiques au niveau de la mathématique ou de la statistique, un léger incident de parcours de l’économie mondiale a soudainement fait basculer les traités de sciences économiques dans le domaine honni du mythe culturel aux côté des Métamorphoses d’Ovide et de l’Âne d’or d’Apulée.
Ce que tous les historiens, et philosophes savent, ceux que tous les « humanistes » perçoivent, ce que tous les poètes expriment : que l’économie (étymologiquement l’organisation du monde) est culturelle et exclusivement culturelle, le Président de la République Française semble l’ignorer.
Il y eut, naguère au sommet de cette admirable construction humaniste qu’a été la Nation Française, un président humaniste, pas simplement humain - c'est-à-dire obscur, imparfait, fragile, ambitieux, amoureux des femmes des hommes de son pays- mais humaniste, c'est-à-dire porteur des valeurs de la vieille Europe et notamment de celles de l’ouverture à toutes les formes d’humanités. Ce Président a du céder aux sirènes des économistes, beaucoup d’entre nous l’eussent aimé plus combatif et moins sceptique devant ses propres certitudes mais ce scepticisme même qui fonde la relative errance de son parcours politique, est le signe de son humanisme. Ici, dans le pays de Montaigne, à quelques lieues de ces collines au cœur desquelles Michel Eyquem, descendant de vieux aquitains et de juifs sepharads a, un siècle avant la naissance de la Princesse de Clèves apporté au bréviaire de l’humanisme le chapitre des Essais, il nous appartient d’affirmer clairement notre refus de cette vision manichéenne du monde portée par le Président Sarkozy : plus que jamais la littérature riche de l’infinie diversité des langues, l’histoire, la philosophie, la géographie tous ces modalités d’appréhension du monde, de l’astrophysique à la psychanalyse en passant par la physique et les mathématiques, forment un tout indissociable. Chacune de ces « sciences » n’a de sens que dans le dispositif général de la connaissance humaniste dont l’Université est le seul garant institutionnel.
C’est là la signification réelle des troubles, incompréhensibles aux yeux de la très grande majorité des français, qui agitent depuis plusieurs mois les Universités. L’intelligence tactique, l’habileté, le machiavélisme de ce gouvernement a été de cristalliser les inquiétudes anciennes et taraudantes des universitaires, des chercheurs, des intellectuels, sur des combats d’arrière-garde, de détourner l’angoisse salutaire sur des inquiétudes corporatistes et de renforcer la trop réelle scission entre le monde de la pensée, c'est-à-dire pour l’essentiel celui des laboratoires, des bibliothèques et des salles de séminaire des universités et celui de l’économie compris comme moteur d’essence quasi divine du capitalisme.
Que ceux qui n’ont pas eu le bonheur de pouvoir bénéficier des bienfaits d’un Etat permettant au plus grand nombre l’accès aux enseignements des « humanités » se consolent en relisant leurs vieux manuels d’histoire, de géographie, de littérature et de philosophie du secondaire, ils y trouveront la démonstration aveuglante de l’erreur fondamentale dans laquelle nous précipite le mépris des humanités : le monde est beaucoup plus riche, merveilleux, complexe que celui que nous propose le Président Sarkozy et la République des Beaufs qu’il domine du haut de ses talonnettes.
PRINCESSE DE CLEVES MICHEL DE MONTAIGNE MEME COMBAT

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