lundi 24 août 2009

Mais où est donc passée la culture générale ?
LE MONDE 12.05.09 20h26 • Mis à jour le 12.05.09 20h26
Année zéro de la déculturation ? Dès cette session, l'épreuve de culture générale disparaît d'un certain nombre de concours administratifs. Un futur gardien de la paix ne sera plus interrogé sur L'Avare, de Molière, ou sur Germinal, de Zola. Les concours, essentiellement des catégories B (ouverts au niveau bac ou équivalent) et C (niveau diplôme national du brevet ou CAP ou BEP), vont voir cette épreuve évoluer vers des questions plus en lien avec leur futur emploi et un adjoint administratif se verra évalué "sur sa connaissance des logiciels de bureautique, à savoir un tableur, un traitement de texte...".

Cette petite révolution aura forcément des incidences sur la place de la culture générale à l'école. En passant en 1932, d'un ministère de l'instruction publique à un ministère de l'éducation nationale, l'institution a hérité de cette mission nouvelle, bien difficile à définir. Dans De Oratore, Cicéron définissait l'humanitas (les humanités) comme le traitement à appliquer aux enfants pour qu'ils deviennent des hommes. Eveil du sens critique et transmission d'outils permettant de comprendre la société. Au XVIIe siècle, il servait à construire l'honnête homme.
Aujourd'hui, le ministre de l'éducation nationale, Xavier Darcos, estime pour Le Monde que "toute culture générale veut relier l'individu à autrui et à l'histoire. Elle fait contrepoids à l'individualisme, au relativisme absolu et au "chacun pour soi". Mais elle prépare aussi à ce que le citoyen, capable de libre examen grâce au savoir, puisse ensuite diverger des valeurs et des traditions partagées. Ainsi, la culture est-elle tiraillée entre deux tendances, entre passé et avenir".
La mise en place en 2006 du socle commun de connaissances et de compétences que tout élève sortant de l'enseignement obligatoire est censé maîtriser, a réveillé ce débat. Un accord a été trouvé sur sept entrées incluant notamment la maîtrise de la langue française, la culture humaniste, mais aussi les principaux éléments de mathématiques, et la culture scientifique et technologique.
Si le compromis final a mis toutes les cultures sur le même plan, l'affaire n'est pas entendue pour tout le monde. Au point que Jean-Marc Levy-Leblond précise dans le Dictionnaire culturel des sciences, un ouvrage collectif sous la direction de Nicolas Witkowski, que, "pour certains, la science est totalement étrangère à la culture, entendue au sens des "humanités" ; pour d'autres, elle est devenue la culture d'aujourd'hui supplantant des formes classiques dépassées".
Rien n'est tranché et il n'est pas sûr que la polémique sur La Princesse de Clèves - symbole pour Nicolas Sarkozy d'un académisme dépassé - installera les sciences dans la culture générale du troisième millénaire. Ce dénigrement pourrait aussi bien aboutir à amputer les humanités des oeuvres les moins immédiatement intelligibles.
Ce qui est sûr, c'est que la majuscule de la culture est tombée face à la culture de masse - inutile de convoquer pour cela Hannah Arendt, tant l'affaire est entendue. Même si l'école rame à contre-courant pour maintenir ce semblant de majuscule, elle n'a d'autre choix que de trouver au quotidien l'impossible synthèse entre transmission d'un patrimoine très riche et adaptation à son public.
Aucun espace n'est dévolu spécifiquement à cet enseignement qui a moins de place dans les examens depuis que Pierre Bourdieu en a fait un savoir d'héritiers. Les exemples ne manquent pas et s'il faut n'en citer qu'un seul, c'est bien l'épreuve anticipée de français du baccalauréat général, où le sujet de dissertation est fourni avec un corpus de textes alors qu'hier chaque candidat convoquait ses propres références.
L'argument servi pour la réforme des concours précise que "l'académisme des épreuves n'est pas au service de la diversité des lauréats, car il favorise ceux qui en ont les codes". Pourtant, on peut aussi partir du même constat bourdieusien et proposer plus de culture.
A l'instar de l'Essec, quelques grandes écoles offrent un supplément de culture générale et un accompagnement durant le lycée aux jeunes qui ont de l'ambition mais manquent de références culturelles dans leur famille. Henri-IV propose une pré-prépa...
Les solutions ne manquent donc pas. Car la culture générale est bien plus qu'une somme de connaissances éparses, qu'un vernis. Un rapport du professeur de médecine de Saint Barnabas à Livingston, dans le New Jersey (Etats-Unis), Richard Panush, vient de montrer que la fréquentation des grands auteurs par les médecins augmente leur empathie. A HEC, un mastère "médias, arts et création" va être mis en place à destination des futurs managers. Preuve s'il en fallait, quatre siècles après Montaigne, qu'"une tête bien faite vaut mieux qu'une tête bien pleine".
Par Maryline Baumard

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